Voici la deuxième partie de l’extrait de l’ouvrage « le bénédicité » de Mgr Gaume, où il évoque le vouvoiement. La première partie a eu le mérite de susciter des réactions, donc de provoquer des réflexions. Puisse celle-ci continuer, sans peur, à nous aider à mettre en perspective nos habitudes familiales à la lumière de l’histoire et… au delà des modes !
Je monte aujourd’hui sur ma chaire de professeur, pour te démontrer à toi et à tous, la thèse annoncée à la fin de ma dernière lettre. J’en reprends les quatre parties dans l’ordre indiqué, et sans préambule, je dis :
1° Le tutoiement, surtout des enfants aux parents, est une formule honteuse dans son origine.
Cette formule, inconnue dans notre histoire, a pour auteurs des hommes dont on ne peut prononcer le nom sans rougir. Ces hommes sont les sans-culottes de 93. Tel est le nom qu’eux mêmes se donnaient. Ces misérables plagiaires des anciens Brutus, voulant nous ramener à la sauvagerie païenne, donnèrent à l’Europe le spectacle humiliant d’une nation en délire; et, par une longue suite de parodies ridicules et atroces, jetèrent la France dans un cloaque de sang et de boue. Venons aux preuves : comme toutes les mesures révolutionnaires, la modification républicaine du langage fut réclamée au nom de l’antiquité païenne.
Un des démocrates s’exprime ainsi : « Les Spartiates, les Grecs et les Romains disaient Tu et non pas Vous ; si nous voulons la liberté, parlons-en le langage. Je propose donc à tous les bons citoyens, à tous les amis de la liberté, d’adopter le langage pur et simple de la Nature ». La motion est accueillie avec faveur, et on décrète sous peine de mort, qu’à l’exemple des peuples libres de l’antiquité, tout le monde se tutoie. « L’esprit de fanatisme, d’orgueil et de féodalité, est-il dit, nous a fait contracter l’habitude de nous servir de la seconde personne du pluriel, lorsque nous parlons à un seul.
« Beaucoup de maux résultent de cet abus. Il oppose une barrière à l’intelligence des sans-culottes ; il entretient la morgue et éloigne les vertus fraternelles. En conséquence, tous les républicains seront tenus à l’avenir de tutoyer, sans distinction, ceux ou celles à qui ils parleront en un seul, sous peine d’être déclarés suspects et ennemis de l’égalité. »
Au malheureux déclaré suspect, tu sais que de plein droit revenait l’échafaud. En vertu de ce décret., sanctionné par la mort et digne des Saturnales du paganisme, maîtres et serviteurs, parents et enfants, supérieurs et inférieurs, n’employaient plus en se parlant que le tu du sans-culottisme. J’ajoute en passant qu’en vertu du même principe égalitaire, un décret défendit d’appeler les domestiques, domestiques : on devait leur donner le nom d’officieux et d’officieuses. (…). Mais cette formule révolutionnaire n’est pas seulement honteuse dans son origine ; elle est encore absurde en elle-même.
2° Absurde en elle-même, cette formule a pour but d’établir une égalité contre nature.
Tant qu’il sera vrai que les père et mère, sont les père et mère de leurs enfants, il sera vrai qu’ils sont de droit naturel, divin et humain, les supérieurs de leurs enfants. Par une conséquence forcée, il sera également vrai qu’entre eux et leurs enfants toute égalité est contre nature. Il en résulte que la formule qui tend à établir et à manifester cette égalité, est radicalement absurde.
Que les parents ne disent pas : Nous autorisons le tutoiement pour faire de nos enfants nos amis et gagner ainsi, quand ils seront plus avancés en âge, leur affection et leur confiance. Rien n’est plus chimérique qu’une pareille prétention, parce que rien n’est plus faux qu’un pareil raisonnement.
D’abord, l’amitié est un sentiment qui suppose l’égalité. Or, nous venons de voir que l’égalité entre les parents et les enfants, est radicalement impossible. Ainsi, en voulant faire de leurs enfants leurs amis, les parents oublient leur dignité, et abdiquent, autant qu’ils peuvent, leur titre imprescriptible de père et de mère : ce qui est absurde en soi. Ensuite, on peut ajouter coupable devant Dieu- L’autorité paternelle et maternelle n’est pas une propriété : c’est un dépôt. Les parents en doivent compte à Dieu de qui vient toute paternité. Il ne leur appartient pas d’en céder la moindre partie. Confiée tout entière, elle leur sera redemandée tout entière.
Ainsi tout acte, toute concession, toute formule qui tendrait à l’affaiblir, doit être l’objet de leur vigilance et de leur réprobation.
Quant à la confiance et à l’affection plus grandes qu’on prétend obtenir par le tutoiement, c’est une nouvelle illusion. Le tutoiement n’est bon qu’à produire une familiarité déplacée : rien de plus. Tenons pour certain, d’après l’expérience de tous les siècles, que la confiance et l’affection des enfants sont toujours en raison directe de leur respect filial pour leur père et pour leur mère.
Loin d’affaiblir ou d’étouffer dans le cœur des enfants la confiance et l’affection, le respect filial en est le véritable principe. Plus un enfant respectera son père et sa mère, plus il sera disposé à leur ouvrir son coeur, à leur être agréable, à demander avec abandon et à recevoir humblement leurs conseils.
A-t-on des preuves que dans les siècles passés, et même avant la révolution de 93, alors que le tutoiement était inconnu, les enfants avaient pour leur père et mère, moins d’affection et moins de confiance que ceux d’aujourd’hui? Qu’on dise si, même à l’heure qu’il est, dans les familles qui ont conservé le Vous respectueux, les enfants sont moins confiants, moins respectueux, moins dociles, qu’ils ne le sont dans celles, où se perpétue le Tu révolutionnaire.
Honteuse dans son origine, absurde en soi, la formule du tutoiement est encore funeste dans son application.
3° Funeste dans son application.
L’esprit d’insubordination est la grande plaie de notre époque : personne ne veut plus obéir. Voilà ce qu’on entend répéter chaque jour avec effroi. Cet esprit d’insubordination est tellement général, et nous menace de tant de calamités, qu’il est plus nécessaire aujourd’hui que jamais, de veiller avec un soin jaloux au maintien du principe d’autorité. Assemblage de famille, la société si profondément ébranlée ne se raffermira, qu’autant que la famille elle-même sera redevenue une école de respect. Elle ne le redeviendra pas, si dans le langage, comme dans les actes, tout ne respire l’autorité d’une part et le respect filial de l’autre.
Or, la formule du tutoiement loin d’affermir l’ordre hiérarchique divinement établi, pour la conservation de la famille et de la société, est propre à l’affaiblir et à le ruiner. Dès le bas âge, elle tend à placer l’enfant sur je ne sais quel pied d’égalité avec son père et sa mère. Développé avec les années, ce germe funeste engendrera une familiarité malsaine qui, aux jours de l’adolescence, deviendra l’esprit d’insubordination.
Puis, comme conséquence inévitable, ce que nous voyons trop souvent, les impertinences et les révoltes des enfants, les larmes des mères, les emportements des pères. Tel est le juste salaire de l’imprudence avec laquelle on a négligé de faire respecter, dès l’enfance, l’autorité paternelle, en laissant pénétrer dans le foyer domestique, entre autres principes d’insubordination, le tutoiement révolutionnaire.
4° Outrageante pour les parents.
La malheureuse formule que nous combattons n’est pas seulement honteuse, absurde et funeste à la famille, il faut ajouter qu’elle est souverainement outrageante pour les parents : tant pis pour eux s’ils ne s’en aperçoivent pas. Pour tout homme de bon sens, il est incompréhensible qu’un père et une mère, soucieux de leur dignité, puissent en tolérer l’usage.
Entrons d’abord dans l’intérieur de la famille. Si les enfants ont un précepteur ou une institutrice, il est inouï qu’on leur permette de les tutoyer : une pareille inconvenance sauterait aux yeux de tous.
Sortons du foyer domestique et supposons-nous dans une assemblée, composée de personnes respectables à un titre quelconque. Toutes les fois que les enfants ont à répondre à une ou l’autre de ces personnes, ils se servent invariablement du Vous; s’ils osaient employer le Tu, l’assemblée tout entière en serait choquée. Elle prendrait ces enfants pour de petits sauvages ou de petits sans-culottes. Leurs parents rougiraient, et, le moment venu, les jeunes impertinents seraient l’objet d’une sévère mais juste réprimande.
Parmi les membres de l’assemblée les personnes à qui les enfants doivent le plus de respect sont, à coup sûr, leur père et leur mère. Eh bien, par une anomalie choquante, c’est à eux que dans leur langage ils en témoignent le moins. À leur égard, ils se permettent ce qui leur est strictement défendu à l’égard des étrangers. Et il y a des pères et des mères qui n’y voient aucune inconvenance ! Que dis-je ? Ils trouvent même de bon goût que leurs fils et leurs filles les tutoient !
Veux-tu que je te dise sans phrase ce que cela signifie ? Cela signifie que ces aveugles parents trouvent tout naturel que leur enfant emploie, pour leur parler, la même formule dont il se sert pour appeler son valet ou son chien! Mon Dieu, éclairez-les : car ils ne savent ce qu’ils font.
Merci beaucoup pour cet enseignement. On peut appliquer à la vie professionnelle les conséquences désastreuses du tutoiement révolutionnaire.
L’argumentation est sérieuse, mais il est plus important de donner du sens aux relations parents/enfants que de se focaliser sur le tutoiement ou le vouvoiement. Tout dépend de l’amour que ces formules contiennent, les deux sont acceptables. En famille, nous pratiquons le panachage: 3 de mes enfants vouvoient leurs parents, 2 les tutoient. Honnêtement, je ne vois pas la différence de comportement, d’amour et de respect mutuel… Sans compter que le vouvoiement est devenu aussi un élément de différentiation sociale et d’élitisme mondain.
Bonjour Monsieur,
merci pour ce point de vue bien que je sois aussi d’accord avec le commentaire précédent. J’aimerais, sans offenses, vous faire remarquer que si vous parlez du vouvoiement comme une marque de respect, votre début d’article commence par un tutoiement envers le lecteur qui vous est inconnu …
Merci pour votre commentaire, que j’aimerai transmettre à l’évêque qui a écrit l’article au XIXe… mais hélas, cela ne sera pas possible !
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